Les conditions de diffusion d'une innovation (2) :
l'« invention » du VTT par Jean-Louis Swiners
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Une autre version
1946. Les Anglais pratiquent le trial et le scramble.
1948. JLS passe des vacances en Angleterre et découvre The Motor Cycle auquel son père l'abonne quand il rentre en France. Courses de dirt-track à Southampton.
1948.
Le jeune Swiners, 13 ans (l'âge auquel, 20 ans plus tard le jeune Breithaupt, inventera le BMX), qui habite Saint-Mandé, commence avec deux amis, Pierre Gady (de Vincennes) et Jack Berthier, à faire du vélo tout terrain dans le bois de Vincennes avec un vieux vélo Motobécane d'avant-guerre bricolé, en particulier sur les descentes d'une hauteur d'un immeuble de deux à trois étages bordant le lac de Saint-Mandé sur sa partie sud. Ceci en copiant les courses de moto qu'il a vu pratiquer en Angleterre (scramble, trial et dirt-track). Singeant l'Association Sportive des PTT (ASPTT), le trio se réclame, pour faire sérieux, de l'ASVTT, l'Association Sportive du Vélo Tout Terrain. Il l'appelle « vélo-cross », pour le distinguer du cyclo-cross.
Si en cyclo-cross on peut porter son vélo, en velo-cross on doit passer partout sans descendre de vélo (ceci va conduire très vite aux pneus boue et à des double-plateaux 46-28 autorisant des braquets phénoménaux à l'époque de 28 x 28)
JLS dispose d'un garage-atelier (dont l'emplacement est intact au coin de l'impasse Faidherbe et de la rue Grandville, à Saint-Mandé) dans le jardin de l'immeuble et des outils de base (établi, étau, etc.)
1949. Sortie du film Jour de fête de Jacques Tati (qui permet de dater avec précision l'année de l'éclosion de l'idée, antérieure à l'année de sortie ce ce film). Les exploits vélocyclopédiques de François le facteur sont jugés puérils par le le trio qui pense que l'on aurait bien fait de les prendre pour conseillers techniques.
Le bois de Vincennes est interdit aux vélos.
JLS et Pierre Gady vont s'entrainer aux buttes à Morel dont la « Grande descente », un mur d'une hauteur d'environ cinq étages comme on en voit dans les pistes de ski, est la terreur des motards et fait la différence entre ceux qui, dans un sens, s'y lancent sans hésiter et les autres ; et, dans l'autre sens, en prenant le circuit à l'envers, entre ceux qui parviennent à la remonter et les autres. JLS s'y lance sans (trop) hésiter.
Jean-Louis Swiners
Jean-Louis Swiners
Pierre Gady Jean-Louis Swiners JLS
1950. Le concept de base de ce que les Américains appelleront vingt plus tard le « mountain-bike » est inventé :
• Pneus demi-ballon à crampons (type Mobylette) ;
• Fourche avant suspendue (à parallélogramme) ;
• Double-plateau (46-28) ;
• Cassette arrière de 16-22-28 (les cassettes d'alors étaient traditionnellement des 16-20-24) ;
• Dérailleur protégé ;
• Changement de vitesses au guidon ;
• Garde-boue coupés (pour passer les pierres, les trottoirs et les marches d'escalier et faire du wheeling) ;
• Une géométrie spécifique du cadre (fait sur mesure).
Les seules différences notables sont:
• la grosse selle (type vélomoteur) garnie de caoutchouc mousse,
• l'absence de dérailleur de plateau (aucun n'était suffisamment fiable à l'époque et le changement se faisait au pied pour descendre et à la main pour monter) ;
• une chaîne « de 3 » (les chaines de 2, 38 des vélos actuels, trop fragiles, cassaient) ;
• invisible sur les photos, la poignée de frein avant à main droite (comme sur les motos) ;
• Le poids (15 à 20 kg) ;
• l'absence de suspension arrière (mais la plupart des motos n'en avaient pas encore).
Jean-Louis Swiners
…
1952, le prototype Suspension avant, pneus demi-ballon, double-plateau, le concept
Le virage en dérapage contrôlé (style dirt-track ou fast track) est couramment pratiqué ainsi que des sauts de 10 mètres de long à 1 m du sol grâce à un tremplin disposé en bas de la « grande descente » (d'une hauteur de quatre à cind étages) qui permettait d'atteindre des vitesses de l'ordre de 80 km/h.
Le tremplin était fabriqué avec des tôles de désensablage — ces tôles trouées servant à l'armée américaine à fabriquer les pistes provisoires d'aérodromme pendant la guerre et qui se trouvaient miraculeusement là.
1951. Parallèllement, Jean Duda, des Lilas (où il y avait un très beau terrain à la place de de l'actuel hopital Henri Mondor de la porte des Lilas) crée avec Georges Leskovac le VCCP (Vélo Cross Club de Paris) qui organisera quelques courses, cherchera vainement une reconnaissance auprès de la Fédération française de cyclisme et perdurera jusqu'en 1956. (Voir VTT Magazine, n° 102, mars 1998, « Les Copains d'abord » et n° 113, février 1999, « Comme les grands ».)
1952. Les buttes à Morel sont interdites d'accès pour raisons de sécurité.
1953. JLS qui fait sa math élém au lycéee Saint-Louis (Paris), y va à vélo et fait du wheeling aux feux verts du boulevard Saint-Germain et du boulevard Saint-Michel.
Rencontre fortuite de Jean-Louis et de Jean Duda (qui apprend la tôlerie) à Romainville, autre terrain mythique, qui découvrent qu'ils ont chacun de leur côté inventé le vélo-cross, le futur VTT.
Première mention aux États-Unis d'étudiants qui déshabillent leurs vélos, des Schwinn, pour en faire des vélos « tous chemins ».
1954. JLS part à l'armée.
1957. Ayant appris la photo à Berlin (où on l'a envoyé commander une section de mortiers lourds) il en revient photographe, repart à Moscou, fait un scoop mondial et rentre à Réalités.
1958. Il jette (ou donne) son VTT et oublie le vélo-cross.
Dans la tradition de la Silicon Valley, derrière toute invention, il y a un « garage ». Celui dans lequel a été inventé le VTT se trouve sur cette photo juste derrière l'appareil (un Rollei). Il est aujourd'hui démoli, mais le jardin existe toujours (au coin des rues Grandville et Faidherbe, à Saint-Mandé).
Il s'agit d'une photo expérimentale faite à la fin des années cinquante pour comparer le champ d'un grand-angle (un 35 mm sur un 24x 36) et celui donné par la réflexion dans une grosse boule métallique argentée
Parenthèse et final
1969-1974. JLS essaie de diffuser en France la pratique du vélo-ski ou skibob (qui était au VTT ce que le snowscoot est au BMX) qu'il a découvert en Autriche. Il est directeur de la publicité de Ski-Flash-Magazine et écume les stations avec son engin prouvant que l'on peut passer partout avec (à l'exception des murs verglacés, la ligne de carres étant trop courte, et de la poudreuse, la surface des semelles étant trop petite).
En 1969, il gagne même la course de vélo-ski organisée par La Hutte dans le cadre de son Xe Challenge.
Echec ! Les directeurs de station n'en veulent pas (seul Pra-Loup le permet aujourd'hui) alors que c'est un sport très populaire au Japon.
Une idée de JLS : pourquoi ne pas utiliser les pistes l'été pour faire du vélo-cross ? Suggestion rejetée.